La moulinette à viande

La moulinette à viande fait résonner son cliquetis habituel. Cela fait des années qu’on moud ici des discours à la mode.
En hâte nous y jetons des phrases entières, nous les rafraîchissons à l’encre de couleur.
De plus en plus souvent retentissent des craquements, mais j’empoigne la manivelle à deux mains, j’y pèse de tout mon poids, ça marche.
J’ai pour m’aider Nike, un Anglais, 150 kilos. Quand lui fait peser son autorité, cela dépasse tout. Cette machine a 50 ans. Je m’étonne qu’elle n’ait pas encore rendu l’âme sous la gravité sublime de ceux qui viennent ici manipuler la manivelle.
Aujourd’hui elle s’est enrayée et a recraché une montagne d’abattis et de constitution taillée en pièces. J’appelle à l’aide les plus doués, le poids de Nike n’y suffit pas. Ils examinent la machine, pièce par pièce.
La lame est émoussée mais elle coupe encore, le disque à trous est bouché, mais ça peut se déboucher, l’axe semble intact.
Ils demandent: « De quoi s’agit-il ? » Ils me regardent d’un œil soupçonneux.
« Tu as mal tourné, tu tournes sûrement vers la gauche ! »
Je tourne ostensiblement vers la droite. Devant leurs yeux également la machine recrache un monceau de déchets.
« S’il vous plaît, utilisez la reductio ad absurdum et réparez cela. » Ils sont sortis.

Pour faire un essai, j’y laisse tomber une poignée de mes mots. Je mélange sans effort. La moulinette moud souplement. Elle émet une rumeur.
Sur mon assiette j’ai un poème.

Du recueil Les abattoirs de Bruxelles, Księgarnia Akademicka, Kraków 2011
Traduction du polonais par Alain van Crugten